C’est le rêve de beaucoup d’élèves, le vœu de certains financeurs, la crainte d’enseignants, la vision de certains prophètes de la société à venir, mais est-ce un phantasme ou une réalité plausible, possible, souhaitable ?

L’ordinateur, un précepteur super patient ?

L’ordinateur, sous toutes ses formes, tour, boîte, portable, ultraportable, téléphone intelligent, tablette tactile ou autre est entré dans la vie de la plupart des Français.

À la grande époque du cédérom, certains ont pensé que l’interaction avec le logiciel permettrait d’instruire les enfants, sans culpabilisation, avec égalité, objectivité et efficacité.

Les développeurs et pédagogues n’ont sans doute pas réussi à réaliser le logiciel idéal car le moins que l’on puisse dire est que cette approche est tombée en désuétude. Il n’est qu’à voir l’effondrement de l’offre RIP (Reconnu d’Intérêt Pédagogique par le Ministère de l’Éducation nationale).

La salle informatique, salle où l’on venait s’exercer sur des petits applicatifs plus ou moins merveilleux est elle aussi tombé en désuétude. Elle était le meilleur allié de l’ordinateur professeur en attendant que le même travail puisse se faire à la maison.

Exit l’ordinateur, enseignant patient et infatigable ; les enseignants ont gardé leur travail.

La ressource, ici, là, là-bas et même partout

La nouvelle lumière émise par l’entité « ordinateur » s’est ensuite appelée « Ressource ». Il n’est plus alors question de programmes fermés mais de données, d’informations ; en un mot d’éléments que tout ordinateur est sensé pouvoir stocker, afficher et traiter de façon plus efficace que n’importe quel humain, fut-il professeur.

Un grand mouvement de constitution de ces ressources, bases de données s’est alors lancé. Les bibliothèques, les archives, tout devait pouvoir être mis en fiche et affiché sur le cathodique écran.

Avec l’essor d’Internet, ces bases de données se sont de plus en plus ouvertes au point de devenir collaboratives dans leur constitution. N’importe quel internaute peut se promouvoir expert de tel ou tel domaine, créer son site, ou participer à un projet encyclopédique comme Wikipédia.

Entre-temps, la télévision confortait sa position d’apporteur de « savoirs », ce qui fait que tout petit français d’âge scolaire reçoit des monceaux d’informations qu’il ne cherche souvent même pas à prendre comme tel.

Alors, le B2i et la nécessité d’aider les enfants à trier l’information, ont légitimé le rôle de certains enseignants, en particulier les professeurs documentalistes qui se sont bien emparés de cette mission, en dépoussiérant l’image de bibliothécaire qui leur était parfois associée.

Au-delà des documentalistes, de nombreux enseignants se sont penchés sur la question, souvent avec efficacité.

L’ordinateur n’a donc toujours pas eu la peau des enseignants et il semble même perdre des points.

L’interactivité, c’est quoi cette bête-là ?

L’ordinateur tente donc une troisième offensive, devenir interactif… Cela demande une explication. En effet, même le plus sommaire des ordinateurs a toujours été capable de répondre à un stimulus de son utilisateur (clavier, souris, voix…), ce ne doit donc pas être une nouveauté.

En fait, c’est son association avec un périphérique de saisie et d’affichage, le tableau interactif, qui fut sa dernière mauvaise bonne idée dans sa lutte pour devenir l’enseignant unique.

En effet, le tableau interactif permet d’afficher tout ce qui s’affiche sur un ordinateur, programmes et données, mais en plus de commander ce flux d’information. Son apport principal est qu’il est de grande taille et qu’il permet ainsi de favoriser les interactions entre plusieurs personnes sur un sujet de réflexion commun.

Et c’est là que le piège se retourne contre le pauvre ordinateur. En effet, celui-ci est maintenant devenu lui-même le périphérique du tableau interactif. On le cache dans un coin et même certains oublient complètement son existence.

L’enseignant astucieux se sert donc désormais du tableau interactif comme d’un allié qui lui permet de faire travailler ensemble les cerveaux de ses élèves. Toute idée émise peut désormais être reprise traduite en mots ou images, mémorisée, modifiée, partagée. Mieux, avec les possibilités des réseaux, ce travail peut devenir collaboratif à distance.

La diversité, la richesse des explorations permises ferment donc la porte à l’ordinateur comme super enseignant et ouvre la voie royale à l’enseignant qui devient le véritable pivot de l’activité pédagogique de la classe.

Score final ?

Clairement, l’ordinateur a perdu si on se place sur le plan du remplacement de l’un (l’enseignant) par l’autre (l’ordinateur). De plus, le monde du travail bascule de plus en plus vers la collaboration, le travail à distance et il est donc indispensable d’apprendre aux enfants à collaborer dès le plus jeune âge. Quel meilleur outil qu’un tableau interactif (ou une table interactive) pour cela ?

Même s’il est périphérisé, l’ordinateur est un élément essentiel du tableau interactif. Il lui ouvre ses capacités immenses de calcul, stockage, communication. De son côté, l’enseignant peut, grâce au tableau interactif, devenir beaucoup plus créatif, formateur, constructeur. L’élève n’a jamais été autant encouragé à imaginer, produire, argumenter, réfléchir.

Les possibilités de connexions à distance et de nouveaux outils comme les tablettes tactiles permettent de travailler de façon collaborative, dans la classe, ou de n’importe quel point du monde, tout en intervenant sur le tableau interactif.

La porte est donc toute grande ouverte aux enseignants qui ont la fibre pédagogique. Le tableau interactif et ses périphériques (ordinateur, tablettes tactiles, boîtiers de réponse) est son allié.

Le doigt devient le point direct d’entrée dans l’univers de l’ordinateur (SMART Technologies diffuse depuis 1991 des TBI tactiles au doigt). Cela permet de construire un avenir où l’ordinateur sera de plus en plus utilisé mais de moins en moins visible. L’enseignant retrouve son rôle le plus noble, aider chaque enfant à se construire et ça, c’est de l’humain, pas de la machine.

Enseignant vainqueur par KO et l’ordinateur devient un périphérique des TBI. Beau renversement des rôles, non ?

J’ai cherché à remonter aussi loin que possible dans l’origine de l’utilisation du tableau en classe, ou du moins en situation de pédagogie :

Voici un document écrit par un auteur anonyme à Ctésibios d’Alexandrie (IIIe siècle avant J.-C.).

À la lecture de cette lettre, on doit pouvoir supposer que Ctésibios proposait à son collègue ou ami une invention qui aurait consisté à écrire avec une pierre calcaire claire sur une pierre sombre, probablement dans le domaine de la pédagogie. On notera ici les objections de cet auteur anonyme qui sont encore aujourd’hui étrangement d’actualité.

« […] votre idée est intéressante mais j’y vois de bien fortes objections :

– les crissements du morceau de calcaire seraient insupportables aux étudiants.

– la poussière générée par l’écriture et surtout l’effacement risquerait de provoquer des allergies.

– après plusieurs effacement la surface deviendrait peu lisible et il faudrait procéder à un nettoyage à l’eau ce qui impliquerait une connexion à un réseau aqueux et plus grave encore une indisponibilité du dispositif lors du nettoyage humide, le temps que la pierre noire sèche.

– le matériel deviendrait inopérant en cas de perte ou d’épuisement des pierres blanches.

– le matériel évoqué ne permettrait pas un usage pédagogique pertinent car il inciterait l’enseignant à limiter l’écriture. Il ne pourrait donc pas explorer les idées et hypothèses des élèves, ce qui conduirait à un enseignement magistral forcement ennuyeux pour les élèves et qui pourrait donc avoir de graves répercussions en matière de résultat en aggravant l’hétérogénéité des élèves, ce qui pourrait causer à terme la fin de la suprématie incontestable de notre chère patrie d’Alexandrie.

Je préconise donc plutôt une surface qui s’utiliserait au doigt. Je crois ce système en effet, plus intuitif, rapide, sûr. Il aurait en outre la supériorité de permettre des modifications faciles.

En cas de besoin on pourrait utiliser un style, mais je pense que le doigt est le prolongement naturel de l’esprit et que tout outil intermédiaire ne pourrait que ralentir la pensée.

Nous utilisons la cire, le sable, mais je me plais à rêver d’un dispositif encore plus simple que vous, serez peut-être à même d’offrir à nos professeurs pour qu’ils puissent aisément traduire leur pensée et surtout celle de leur étudiants. […] »


Plus près de nous signalons ce texte tiré de la « vie de Henri Brulard », un des nombreux pseudonymes de Marie-Henri Beyle, Alias Stendhal qui y décrit en 1798 le tableau de l’école centrale de Grenoble où il fait ses études de cette façon :

« C’était une ardoise de six pieds sur quatre, soutenue à cinq pieds de haut par un châssis fort solide. On y montait par trois degrés… La tête du démontrant était bien à huit pieds de haut. »

On constate que les professeurs de l’école centrale de Grenoble ne connaissaient pas le texte ci-dessus sinon ils auraient sans doute cherché un dispositif présentant moins d’inconvénients.

Il faudra attendre 1986 et même plus précisément 1991 pour que l’invention demandée à Ctésibios d’Alexandrie voit le jour dans une salle de classe, un tableau utilisable au doigt et sans aucun des inconvénients et tous les avantages demandés (c’était le SMART Board).


Que de temps perdu pour l’humanité !